Je crois que vous m’avez plu

Un gris matin. J’attends sous l’abri en regardant les voitures passer ; un frais matin. Le tramway doit arriver à 8h25 ; un matin banal. Lorsque je vous ai vu venir sur le quai l’épaisse chape nuageuse grise m’a parue plus claire et le monde plus vif. J’étais attentif.

Nous étions assis face à face, aux places du milieu sur les rangées de trois sièges. Nous étions près de la deuxième porte en partant de la tête du tramway. Toi à droite pour quelqu’un qui se serait tenu dans le sens de la marche, moi à gauche.

Vous portiez un jeans bleu foncé, un pull de couleur claire - peut-être blanc ou blanc cassé - sous votre manteau bleu marine entrouvert, une paire de lunette aux verres assez haut et à la monture épaisse. Vous aviez aussi des écouteurs aux oreilles dont je ne voyais que les fils et qu’il fallait deviner se poursuivre sous vos joli cheveux brun foncés et raides.

J’étais vêtu d’un long manteau de laine très foncé, un foulard à bandes noires et gris claires enroulé autour du cou et remonté jusque sous le menton en guise d’écharpe, j’avais un petit sac en bandoulière bleu marine, posé entre mes pieds ou peut-être sur mes genoux. Je portais également des lunettes, discrètes et aux verres sans cadre. Je suis blond et légèrement plus grand que vous. J’avais un livre en main (Le tome 14 du Trône de Fer au cas où ce détail vous reviendrait en mémoire) et je prétendais lire, mais je dois vous avouer que j’avais l’esprit vers vous.

Nos regards se sont croisés plusieurs fois. Ceux-ci se sont rencontrés comme s’ils avaient été guidés par le hasard mais leur nature farouche les a rapidement démêlés. J’ai trouvé le votre particulièrement élégant.

J’avais envie de vous regarder un peu plus longtemps. J’aurais dû vous sourire, je suppose. J’aurais aimé le faire. J’aurais aimé vous dire bonjour, retenir votre attention, au moins quelques instants. J’étais pris au dépourvu et mal rasé. Le cran m’a sans doute manqué pour retirer mon masque d’impassivité. Cela se fait rarement dans le tramway, dire bonjour à une belle inconnue.

Nous avons échangé plus de regards que je n’ai l’habitude de le faire avec quelqu’un dans une rame de tramway. J’ai eu l’impression que nous aurions pu partager un quelconque intérêt, ou au moins de la curiosité. C’est d’ailleurs pour ça que je laisse ici ce message qui a, somme toute, très peu de chance d’arriver à vous.

Nous descendîmes tous deux au terminus, Gare Lille Flandres, au terme d’un voyage qui m’a semblé beaucoup plus court que d’habitude. Nous sortîmes du wagon pratiquement en même temps, à la même porte, vous à gauche et moi à droite. Vous marchiez juste devant moi quand le flot des gens nous emporta. Et puis… nous nous perdîmes. Vous prîtes la première sortie à droite en bout de quai, celle qui débouche directement sur un escalator et qui conduit en face d’Euralille. Je continuai à regret mon chemin car la vie suit son cours et nous rappelle à nos obligations.

J’espère avoir l’occasion de vous revoir un jour. Si vous voyez ce message et que vous souhaitez que nous échangions quelques mots de vive voix, je prends ce même tramway tous les jours de la semaine à la même heure, à la même station.

    Détails

  • Tramwaytà Faidherbe.
  • Une rencontre faite le 19 novembre 2014.
  • Rédigé par un homme pour une femme.
  • Publié le mercredi 19 novembre.